N°140 - Un autre monde sans Toi
Face à toi, je te laissais fixer la sangle de mon casque. Tes gestes étaient calmes et précis. Etonnée, je pris conscience combien tu prenais soin de ne pas me blesser. Je me sentis rassurée face à la route qui nous attendait.
Ma dernière promenade en moto remontait à l’époque de mes dix huit ans. Je n’en avais pas gardé un très bon souvenir, mon cavalier ayant voulu frimer devant ses copains. Soudain, sa moto s’étant cabrée, me laissant choir au sol, douloureusement.
Je chassais vite ce souvenir désagréable, regardant le soleil briller de mille feux, joyeusement. Cette journée serait belle. Je le pressentais, tout en t’observant vérifier certains éléments de ta puissante moto, pendant que j’enfilais mes gants. Tu avais insisté, me disant que j’aurai froid aux mains, si je ne les mettais pas, malgré ce soleil radieux. Docilement, je t’avais écouté, retenant un sourire, un peu sceptique.
Il y avait si longtemps que je n’avais plus souri. Mes yeux me brûlaient encore des larmes qui venaient la nuit, sans crier gare. Nous nous connaissions depuis dix ans puis nous nous étions perdus de vue…C’est en sortant de l’hyper marché que tu m’avais aperçue et hélais. Ton sourire m’avait émue. Tu ressemblais à un adolescent soudain tout heureux…
Nous avions convenu de nous revoir, d’organiser des balades ensemble ; de me faire découvrir ta passion de la moto. Je me surprenais à t’observer, discrètement. Les années sur toi avaient glissé, t’apportant une douceur jusqu’ici inconnue. Ton regard cachait par moment des voiles de tristesse qui m’inquiétaient. Ce n’était pas le moment de raviver l’un et l’autre de mauvais souvenirs. Une belle journée nous attendait sur les routes de France…
D’un bref signe de tête, tu me fis comprendre que je pouvais monter derrière toi. Hop là ! Joyeuse, je retrouvais l’entrain de mes vingt ans. J’avais oublié comment me tenir, derrière toi, où m’accrocher. Tu avais souris, me sentant perplexe, puis tu avais pris mes mains, les plaçant autour de ta taille, simplement. Le moteur s’était mit à rugir, avant de trouver le bon ronronnement. La moto parut glisser sur la route…
Emerveillée, j’observais les arbres éclatants de couleurs que le soleil d’automne embellissait. Rapidement, j’abaissais ma visière. L’air froid me coupait la respiration. Tu conduisais prudemment, afin que je puisse m’habituer à ce nouveau moyen de transport. Peu à peu, je me sentais grisée de plaisir, en voyant la route défiler. Il y avait peu de monde sur les routes.
J’appuyais mon menton sur ton épaule, regardant étonnée ce paysage comme si c’était la première fois que je le découvrais. Il y a en voiture des angles que nous ne voyons pas. Un vent de liberté soudain me faisait exulter. Pour la première fois depuis bien longtemps, je me sentais bien. Avec toi, je m’échappais d’une geôle où jamais je n’avais eu si froid dans le cœur. C’était un nouveau monde que soudain, je découvrais ou tout redevenait naturel.
Les kilomètres filaient rapidement. Mise en confiance, j’appuyais mon torse contre ton dos, détendue enfin…Je t’entendis me demander : ça va ? Oh oui ! Tu ne pouvais savoir quel plaisir, en m’emmenant avec toi, tu me donnais…En voyant la route droite devant nous, et le moteur gronder un peu plus fort, je sus que tu allais accélérer. De ta main gauche, tu m’appuyas sur les mains, me faisant comprendre de me maintenir solidement après toi.
A l’instant ou la moto s’élança, une pensée me traversa : c’était la première fois qu’un homme prenait ainsi soin de moi,veillant à ce que je ne sois pas effrayée…Et bizarrement, cela me bouleversa…
Marie-Ange